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En 1821, Alexis Berbiguier publie un ouvrage sur les démons qui le tourmentent depuis plus de vingt ans ; il a eu tout le loisir de les étudier, dit-il. Sa persécution date de son installation en Avignon en 1796, après avoir consulté le Dictionnaire infernal de Collin du Plancy dont les images l’impressionnent fortement. Alors qu’il vient d’emménager, deux femmes viennent lui tirer les cartes, et en profitent pour lui jeter un sort.
Elles se procurèrent un tamis propre à peser la farine sur lequel on attacha une paire de ciseaux par chacune des pointes. Un papier blanc fut placé dans le tamis, il était plié et on ne voulut pas me dire ce qu’il contenait…. les femmes se procurèrent trois pots, dans l’un desquels on enferma quelques unes des cartes étendues sur la table et préfé rablement celles à figure. On me banda les yeux pour choisir les cartes que je voudrais sur la table pour en mettre dans le pot qu’on couvrit d’une assiette. Le second pot fut garni de sel, de poivre et de l’huile et le troisième avec du laurier. Tous les trois furent cou- verts et placés dans une alcôve ». Les sorcières se sauvèrent. Le mal était fait, laissant Berbiguier assailli par des bruits extraordinaires, les membres brisés par la douleur. De ce jour, farfadets et démons n’auront de cesse de le tourmenter jusqu’à sa mort. Parfois, raconte-t-il, les sorcières elles-mêmes se transforment en chat ou en chien et viennent sous son lit pour lui nuire et le martyriser moralement. Berbiguier use maintes fois du contre-sort du cœur de bœuf piqué et trempé dans l’eau bouillante en répétant ces mots : « Que tout ce que je te fais te serve de paiement, Je désole l’ouvrier de Belzébuth.
Illuminé pour les uns, persécuté pour les autres, monomane selon le docteur Pinel, Berbiguier ne laissa pas indifférent ses contemporains et tous ceux se moquant de lui étaient des envoyés du démon. A sa mort, ses amis prirent soin de glisser dans son cercueil des épingles en symbole de protection !
Un siècle plus tard, Porté du Trait raconte dans son livre d’occultisme les faits suivants : « Pour un motif futile, un sorcier m’avait voué une haine violente. Je m’en riais car je connaissais déjà les phénomènes qu’il était capable de produire pour m’effrayer. Un soir de février, je suivais la route blanche de neige, hâtant le pas, lorsqu’à cent mètres de mon habitation, une forme menaçante tournoya autour de moi et disparut. Je pensai immédiatement à mon sorcier et pour le punir, s’il recommençait sa fantasmagorie, je serrai dans mon poing un long poignard effilé comme une aiguille. Je poursuivis ma route pendant cinq minutes sans rien remarquer d’anormal. Et tout à coup, le même phénomène se reproduisit. Une forme fantômale ayant l’apparence d’un énorme chien me suivait tantôt gambadant par sauts désordonnés, tantôt tournoyant autour de moi. J’attendis le moment où il m’approcherait. Je n’eus pas le loisir d’attendre longtemps. Promptement je décochais un violent coup de poignard à l’animal fantastique, mon bras eut une secousse et tout disparut comme par enchantement. Je rentrai chez moi sans être autrement inquiété.
Le lendemain, j’allai voir mon sorcier dans la chaumière qu’il habitait. Je le trouvai étendu sur son lit, les yeux exorbités, une blessure béante ouvrait sa poitrine…. le sang qui s’en était échappé avec abondance inondait le parquet et le lit. Le soir, le sorcier expirait ». Et l’auteur de conclure que la transfiguration est une pratique occultiste possible mais passablement dangereuse ! Porté du Trait ne fut jamais entendu par la police, aucune enquête n’est répertoriée sur les conditions de la mort du sorcier. Les autorités savaient faire la part du diable et discerner le possible de l’impossible, contrairement aux siècles précédents.